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Photo du rédacteurLes Choses de la vie

DEUIL : CES CONSEILS QUI NOUS EXASPERENT...

Dernière mise à jour : 26 oct.

Quel endeuillé n'a jamais reçu ces conseils donnés vite fait : " il faut que tu avances ", " il faut que tu rebondisses ", " il faut que tu oublies ", " il faut que tu t'occupes ", " il faut tourner la page " ...


Collage - Natyossu


Avancer ?

Rebondir ?

Oublier ?

Bouger ?

S'occuper ?

Tourner la page ?

Avoir des projets ?

...




Si "aller" doit à nouveau signifier quelque chose, ce ne pourra pas être en allant " de l'avant". Ce sera en allant "avec".

Denise Riley - Chants d'adieu - éditions Bayard




Avancer ? Qu'entend-on par avancer ? Selon qui vous promulgue ce conseil, cela pourra exprimer différentes choses ... (Cet article ne se veut pas exhaustif )


Une personne qui ne pense qu'à votre bien être emploiera cette formule tel un encouragement à vivre, un souhait véritable de vous voir retrouver votre sourire et votre vitalité ...


Une réflexion bien maladroite ... Elle est en effet à proscrire. Les premiers temps, rien n'est plus effrayant pour le conjoint, le parent endeuillé ... que l'idée d'avancer sans la personne aimée décédée. Cette projection trop douloureuse est même d'une extrême violence ...


De plus, distribué à profusion et en toutes circonstances " il faut avancer ", est devenu un réflexe langagier bien pratique ... cette formule rapide, prononcée parfois sur un ton odieusement léger, peut révéler aussi un individualisme et un égoïsme presque sordide chez votre interlocuteur. Conseil donné parfois quelques mois seulement après la perte de votre femme de 50 ans, votre fille de 30 ans, votre meilleur ami ou votre frère de 18 ans, votre bébé de 6 mois ...


Essayons de deviner ce qui se cache parfois derrière ce bon conseil "il faut que tu avances" ... Décodages possibles : " j'ai pas trop de temps à t'accorder ... si tu pouvais accélérer le rythme ... T'es costaud ! ça va aller ! (une tape dans le dos et Bye Bye ...) ", ou peut-être, " Pas cool ce qui t'arrive, mais fais un effort !  Les vacances arrivent ! Fais des projets ! Il fait super beau ! La vie est magnifique ! Moi, je pars en Corse ! "


Message reçu cinq sur cinq ! T'inquiète ! Je t'embêterai plus ! Pas la peine de m'envoyer tes photos de vacances ! Merci ...


Qu'en pensez-vous ? J'avance, non ?


Anéantis, notre grande vulnérabilité nous prive quelques fois de notre capacité à répondre du tac au tac ... Courage les cœurs brisés, un jour, je vous le promets, vous retrouverez enfin la capacité à vous rebiffer gentiment mais fermement ! Retrouver sa faculté à réagir spontanément face à l'adversité après des mois voire des années de traversées à terre est un bonheur de soulagement !


J'ai personnellement reçu ce conseil " il faut rebondir maintenant ". L'image insupportable et violente, d'un athlète qui sautait sur un trampoline sous lequel se trouvait le cercueil de mon fils m'est alors venue spontanément à l'esprit. Mon corps tout entier s'est alors transformé en plomb ...

Conseil contreproductif ! Formulation odieuse à bannir absolument face à une personne en deuil !


Heureusement, aujourd'hui, nous avons trouvé la solution à tous les chagrins ...


" Il faut s'occuper !!! "


En effet, nous pouvons trouver une grande paix dans les petites occupations (jardin, peinture, rangement ...) ... Petites ... face à la perte de certains êtres chers, nous déployons une énergie tout à fait considérable, à tel point que nous passons parfois en mode survie ( Je sais, c'est difficile à percevoir tant qu'on n'a pas vécu un deuil particulièrement "impactant" et douloureux ).


S'occuper ... Certaines retombées après quelques surexcitations peuvent véritablement être comparées à un crash d'avion ou une épouvantable dépressurisation qui vous plaque au sol ... Solitude, repli, vie sociale, activités ... Un dosage savant à réajuster au jour le jour .


Un époux en deuil me confie avoir un jour accepté une invitation entre copains au restaurant alors que pourtant il ne s'en sentait pas capable. Il avait cédé sous la pression d'un copain qui visiblement savait mieux que lui-même ce qui lui fallait. Ce copain le jugeait très durement sur sa non capacité à rebondir ... Il voulait le secouer ! ( C'était moins d'un an après la perte de sa femme de 49 ans ... ). Trop épuisé pour tenir tête à son copain, cet homme a donc fini par fléchir en acceptant la sortie. Le restaurant très bruyant était bondé. Notre homme s'installe à table avec ses copains, ils sont excessivement hilares (sans doute pour tenter de lui redonner le moral ?). Moins d'une heure après le début du repas, pris de sueurs froides et de vertiges, il tombe de sa chaise et fait un grave malaise. Il est évacué par le SAMU ... Cet homme me raconte qu'il avait ressenti cette sortie (qui se voulait salutaire) comme un choc temporel très violent. Le bruit, la foule, les rires, la musique avaient été vécu par lui comme une terrible agression. Ces mêmes copains lui avaient également conseillé d'arrêter d'assister aux réunions du groupe de parole de conjoints endeuillés, persuadés que ça le maintenait dans sa tristesse plutôt que d'aller de l'avant !!


Respectez votre rythme, n'attendez pas que votre entourage comprenne totalement ce que vous traversez, n'écoutez pas les gens qui disent mieux savoir que vous-même ce qui est bon pour vous ( d'autant plus quand ils n'ont jamais traversé ce que vous vivez ...).


Face aux "Il faut", "Tu dois"..., identifiez et affirmez vos limites avec "En ce moment, je peux ..." ou " En ce moment, je ne peux pas ...". Les autres ne peuvent pas mesurer l'état de survie dans lequel vous êtes peut-être.


Intégrer la perte d'un être cher, apprivoiser son absence, reconstruire son environnement social sans lui ... requiert beaucoup d'espace, beaucoup de temps, beaucoup d'énergie et surtout beaucoup de courage ...


Afin de mieux sortir un jour de la peine écrasante et éreintante, sans doute est-il préférable d'y entrer pleinement et le temps qu'il faudra ...



La vie à contre sens

2020

Extrait

Nathalie Géraux


On ne vit pas avec la mort d’un parent âgé comme on vit avec celle d’un de ses enfants. Trois mois, un an, deux ans, cinq ans, vingt ans, quarante ans ... une vie future qui semble à contre-courant, à contre-sens. Imaginer et inventer un subterfuge, une pirouette. La sève de mon arbre ne sait plus où diriger son flux.

Prolonger ton existence, accomplir en ton nom, achever à ta place. Prétention et illusion nécessaires pour continuer ton existence ici. Je ne sais pas faire autrement. J’avais pensé que ta vie continuerait après la mienne ; et pourtant, ton corps invisible dort définitivement, là-bas, sous la terre, alors que je suis toujours là. Contre-sens. Désorientation. Sève montante retournant à la terre. Créer un leurre, une prothèse, une branche invisible. Les senteurs éternelles ne suffisent pas.

Une endurance courageuse presque ridicule. Un écartèlement déchirant, un tiraillement presque schizophrène.

Prendre soin de ton empreinte lumineuse. Cultiver ta prairie. Arroser le creuset subtil de tes vibrations douces et joyeuses. Tirer les leçons de ton destin tragique. Répondre à l’appel de la vie, fidèle à ton souvenir, fidèle à ton amour, fidèle à moi-même, et fidèle à ceux qui m’aiment.

Parler des morts !

Parler de mes grands-parents décédés, partager les souvenirs de vie avec eux n’a jamais posé de problème à mon entourage, bien au contraire. Mais parler de toi et des moments vécus ensemble est rapidement et implicitement interdit ; pour le moins ce n’est pas encouragé. Comment vais-je pouvoir vivre sans pouvoir jamais parler de toi, répondant ainsi à des tentatives grossières de diversions, des dos tournés, des têtes baissées, des soupirs lassés, ou des regards détournés ?



Nous ne pouvions nous quitter sans écouter Alain Souchon ...






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